045. La nuit au bout du voyage ?
Ça a débuté comme ça. Moi, je serais jamais parti. Jamais. C’est Ariane St-P. qui m’a fait partir. Ariane, une néo-Parisienne, un jeune cadre elle aussi, une complice. On se retrouve donc comme chaque soir rue Saint-Martin. C’était après le dîner. Elle veut me parler. Je l’écoute. "Restons pas ici ! qu’elle me dit. Partons !" Je pars avec elle. Voilà.
044. Fatigados
El Calafate (sud de
19 décembre 2008
Nous avons beaucoup pris le bus ces derniers jours et nous sommes un peu rétamés, usés par les mornes routes patagoniennes. C’est bien gentil,
Quoi qu’il en soit, nous voilà de retour en Argentine, un an après notre premier voyage dans ce pays de viandasse. L’année dernière, nous avions visité le nord ; cette fois-ci, nous nous offrons une brève incursion au sud pour aller crapahuter sur le glacier Perito Moreno. Nous ferons ça demain dans la journée et nous rentrerons par la navette de dix-huit heures, puis nous irons dormir.
Alors commencera la partie la plus ingrate de ce voyage.
Après-demain, un premier bus mettra six heures pour franchir les deux postes de douane (argentin et chilien) et nous ramener à Puerto Natales, au Chili. Dans la foulée, nous retournerons à Punta Arenas avec un second bus, en à peine trois heures. Ce sera comme un long et mauvais film visionné en sens inverse – ou comme ces vieilles cassettes audio qu’on rembobinait avec un stylo pour économiser les piles du walkman.
Le jour d’après, nous prendrons successivement trois avions : Punta Arenas – Santiago, puis Santiago – Madrid et enfin Madrid – Toulouse, soit une belle et longue journée d’aéroplanes et d’aéroports. Mardi 23 décembre 2008, soit un jour avant le réveillon de Noël et quatre jours avant le vingt-septième anniversaire d’Ariane, nous serons de retour en Languedoc-Roussillon après cinq mois d’absence.
Ça sent un peu la fin.
043. Le Chili incarné
Punta Arenas (sud de
16 décembre 2008
Lorsque la vieille Chilienne du sud te parle, elle adopte une démarche très rationnelle. D’abord elle t’interpelle dans un espagnol local et réalise que tu ne comprends pas tout du premier coup. De deux choses l’une : ou bien il existe des gens qui ne maîtrisent pas parfaitement cette langue et tu en fais partie ; ou bien tu es complètement stupide. La première hypothèse étant évidemment absurde, elle est tout de suite écartée et la conclusion s’impose, limpide : tu es un être simple au cerveau ramolli. Dès lors, la vieille Chilienne du sud va considérer, par principe, que tout ce que tu entreprends est une connerie en puissance et que tout doit t’être expliqué une demi-douzaine de fois. Elle te montre comment utiliser le four à micro-ondes, comment fermer la porte, comment l’ouvrir, comment régler l’eau chaude, où mettre ta bouffe dans le frigo commun, comment utiliser un set de table. (Il devrait y avoir une loi contre l’usage des sets de table en plastique. En général, ils sont moches, avec des dessins de Mickey ou de Pluto dessus, et en plus ils pèguent. Et puis ils sont censés servir à protéger de vieilles tables en formica ; mais ils sont encore plus chiants à nettoyer que la table et il faut nettoyer la table quand même parce que le set de table était sale dessous !)
La vieille Chilienne du sud ne se remet jamais en cause. En cas d’incompréhension mutuelle ou d’incident mineur, elle suggèrera toujours que c’est toi, la source du problème. Exemple : tu viens sonner dans sa pension à deux heures du matin après avoir téléphoné pour réserver le jour même, en indiquant bien ton heure d’arrivée tardive. Tu sonnes mais rien à faire : elle ne t’ouvre pas. Tu insistes, tu re-sonnes une bonne centaine de fois, tu téléphones avec le mobile d’un passant qui a eu pitié de toi, tu cries "Hola"… et elle finit par sortir, au bout de vingt minutes d’attente dans le froid, en prétendant qu’elle ne t’attendait pas pour ce soir. Tu entres te coucher. Le lendemain au petit déjeuner – après t’avoir reproché de te pointer à dix heures du matin alors que tu lui avais dit que tu déjeunerais vers onze heures – elle t’explique ton erreur de la veille : c’est forcément toi qui t’es trompé de numéro et qui a réservé une chambre au restaurant qui porte le même nom et qui est à l’autre bout de la ville. (Elle finira par reconnaître que son employée du matin avait oublié de lui transmettre l’information, mais quoi qu’il en soit, ce n’était pas sa faute à elle, c’était la faute de son employée.)
La vieille Chilienne du sud te fait bien comprendre qu’elle trouve ça un peu bête d’aller observer deux colonies de pingouins en une semaine ; elle ne cesse de te répéter que tu ferais mieux d’aller visiter des grottes…
Mais la vieille Chilienne du sud est bien gentille et, derrière ses manières déplaisantes, se cache une mère angoissée et serviable. D’ailleurs, la vieille Chilienne du sud n’est pas si vieille : elle est juste un peu moche.
042. Pâques au balcon
Quoi qu’il en soit, nous avons bien atteint l’Île de Pâques et nous y passons cinq jours. Ce n’est pas bien grand comme île et c’est complètement paumé, vu que la terre habitée la plus proche (l’île de Pitcairn) est à environ 2.000 km. Mais comme la moitié des 4.000 habitants sont chiliens, il y a une bonne ambiance hispanisante un peu moins moribonde qu’en Polynésie française.
041. Se souvenir du faux gavial
Mercredi 3 décembre 2008, 23:55
Aéroport de Papeete, en partance pour l’Île de Pâques
Avant d’aller plus loin, je crois qu’il faut se souvenir d’une photo effacée que nous ne pourrons jamais vous montrer. Elle avait été prise il y a plus de deux mois au zoo de Singapour – sans doute le plus impressionnant des 227 zoos que nous avons visités au cours de ce voyage.
Sur la photo (superbe), on pouvait voir une espèce de crocodilien la gueule grande ouverte, dans une posture assez impressionnante. La bête était tellement immobile que j’ai fini par me demander s’il ne s’agissait pas d’un animal en plastique imité à la perfection, d’une statue postée là pour impressionner les enfants. L’immobilité était totale, la texture de la peau semblait artificielle : j’étais fier de ma photo mais je doutais. Et mes doutes ont été bientôt validés par un panonceau en anglais : "False Gavial". Quel sot j’étais ! Il s’agissait bel et bien d’un faux animal en plastique – d’un faux gavial en l’occurrence. Comme un photo-reporter de mon rang ne saurait s’abaisser à conserver de tels clichés, j’ai effacé la photo d’un revers du pouce – en quelque sorte, pour laver l’affront.
Un peu plus tard dans la journée, nous avons visité la serre aux reptiles et lu un panneau explicatif présentant les différentes sortes de crocodiliens (crocodiles, caïmans, alligators, etc.). L’un d’eux était le gavial ; un autre portait le nom délicieux de "faux-gavial". Le faux gavial photographié était donc un représentant bien vivant de sa caste. J’avais effacé par connerie la photo du siècle.
PS : en guise de cadeau d'anniversaire pour mon ami JJ, je vous incite à aller jeter un oeil à cet article qu'il aime tant.