043. Le Chili incarné

Punta Arenas (sud de la Patagonie chilienne, au bord du détroit de Magellan)
16 décembre 2008

Lorsque la vieille Chilienne du sud te parle, elle adopte une démarche très rationnelle. D’abord elle t’interpelle dans un espagnol local et réalise que tu ne comprends pas tout du premier coup. De deux choses l’une : ou bien il existe des gens qui ne maîtrisent pas parfaitement cette langue et tu en fais partie ; ou bien tu es complètement stupide. La première hypothèse étant évidemment absurde, elle est tout de suite écartée et la conclusion s’impose, limpide : tu es un être simple au cerveau ramolli. Dès lors, la vieille Chilienne du sud va considérer, par principe, que tout ce que tu entreprends est une connerie en puissance et que tout doit t’être expliqué une demi-douzaine de fois. Elle te montre comment utiliser le four à micro-ondes, comment fermer la porte, comment l’ouvrir, comment régler l’eau chaude, où mettre ta bouffe dans le frigo commun, comment utiliser un set de table. (Il devrait y avoir une loi contre l’usage des sets de table en plastique. En général, ils sont moches, avec des dessins de Mickey ou de Pluto dessus, et en plus ils pèguent. Et puis ils sont censés servir à protéger de vieilles tables en formica ; mais ils sont encore plus chiants à nettoyer que la table et il faut nettoyer la table quand même parce que le set de table était sale dessous !)

La vieille Chilienne du sud ne se remet jamais en cause. En cas d’incompréhension mutuelle ou d’incident mineur, elle suggèrera toujours que c’est toi, la source du problème. Exemple : tu viens sonner dans sa pension à deux heures du matin après avoir téléphoné pour réserver le jour même, en indiquant bien ton heure d’arrivée tardive. Tu sonnes mais rien à faire : elle ne t’ouvre pas. Tu insistes, tu re-sonnes une bonne centaine de fois, tu téléphones avec le mobile d’un passant qui a eu pitié de toi, tu cries "Hola"… et elle finit par sortir, au bout de vingt minutes d’attente dans le froid, en prétendant qu’elle ne t’attendait pas pour ce soir. Tu entres te coucher. Le lendemain au petit déjeuner – après t’avoir reproché de te pointer à dix heures du matin alors que tu lui avais dit que tu déjeunerais vers onze heures – elle t’explique ton erreur de la veille : c’est forcément toi qui t’es trompé de numéro et qui a réservé une chambre au restaurant qui porte le même nom et qui est à l’autre bout de la ville. (Elle finira par reconnaître que son employée du matin avait oublié de lui transmettre l’information, mais quoi qu’il en soit, ce n’était pas sa faute à elle, c’était la faute de son employée.)

La vieille Chilienne du sud te fait bien comprendre qu’elle trouve ça un peu bête d’aller observer deux colonies de pingouins en une semaine ; elle ne cesse de te répéter que tu ferais mieux d’aller visiter des grottes…

Mais la vieille Chilienne du sud est bien gentille et, derrière ses manières déplaisantes, se cache une mère angoissée et serviable. D’ailleurs, la vieille Chilienne du sud n’est pas si vieille : elle est juste un peu moche.


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