Nous sommes revenus de Tahaa, avec la navette de 6 heures du matin. Là-bas nous logions chez J***, dans une pension au bord de l’eau. A Tahaa, il y a 5000 habitants mais pas de transport public. En plus, le vieux 4×4 de J*** était en panne, alors nous devions faire du vélo ou du stop pour nous déplacer.
J*** semble avoir un léger problème avec l’alcool – à moins que sa perte subite d’équilibre et son incapacité soudaine à prononcer les consonnes, tous les soirs à partir de 19 heures, soient dues à des micro-attaques cérébrales extrêmement régulières. Une chose est sûre cependant : le J*** du soir est beaucoup moins fringant que le J*** du matin et c’est une véritable épreuve que de dîner en sa compagnie.
J*** parle de lui en disant "on" ("on fait au mieux", "on s’adapte aux clients"…), alors qu’il gère sa pension tout seul depuis que son ex-compagne est repartie en France avec leur fils. Ça fait dix ans qu’il habite ici mais il ne fréquente personne. Il se sent menacé, mal-aimé, en particulier par les locaux qui – soi-disant – font tout pour que son affaire périclite. Il parle de lui au futur en disant "plus tard ceci… plus tard cela…", mais son avenir sur cette île est déjà derrière lui. Il répète, il ressasse, il radote. Il tourne un peu en boucle. Il se rassure comme il peut.
Près de la pension, on trouve des crabes de mer sous les nénuphars et des crabes de terre sous les cocotiers. J*** préfère les crabes de mer, plus charnus et plus fins. Il en attrape avec son fils qui vient le voir une fois par an. Il nous en sert au dîner, le dernier soir. (Il nous demande une bonne dizaine de fois si "c’est mangeable", si "c’est pas trop mauvais" ; mais franchement c’est bon.)
J*** préfère les crabes de mer mais, sans le vouloir, il est devenu un crabe de terre. Il marche de profil pour mieux vous observer de son œil unique. Il se terre dans sa pension qui bat de l’aile. Il est seul, dépressif, paranoïaque, alcoolique, borgne et un peu bête.
2 commentaires:
J'ai réussi à griller l'alerte, bisous aux 2 aventuriers, mumisa.
ça fout la pêche
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