Après trois heures de trajet en minibus Mitsubishi, nous voilà installés sur le quatrième pont du ferry qui va nous faire retraverser la ligne de Wallace, pour nous ramener de Lombok à Bali en "à peine" cinq heures.
Avant le départ, alors qu’ont déjà défilé en boucles ininterrompues toutes les espèces imaginables de vendeurs à la sauvette (proposant journaux, t-shirts, eau, coca, riz, soupe, bananes, chips, cacahuètes, pizzas napolitaines, bouillabaisse, choucroute…), passent devant nos yeux deux petits garçons indonésiens entièrement nus. L’espace d’un instant, une pensée scabreuse me traverse l’esprit : ces enfants vont-il aussi nous être proposés à la vente ? Mais bientôt je les vois qui grimpent sur les garde-fous, prennent leur respiration, puis sautent dans l’eau du port, une douzaine de mètres plus bas.
Je souris ; je me dis qu’avec toute l’innocence de leurs dix ans, ils doivent profiter de chaque départ de ferry pour ainsi assouvir leur soif de jeu et d’émotion. Je m’approche pour prendre des photos : ils sont en fait une dizaine à sauter dans la rade, depuis les différents ponts du bateau, pour le plus grand plaisir des touristes et des locaux en transit. Le spectacle est touchant de candeur et de gratuité.
Parmi les voyageurs, certains lancent des pièces de 500 roupies [3,5 centimes d’euros] à l’intention des enfants massés dans l’eau sale près de l’embarcadère. Ceux-ci parviennent rarement à attraper la pièce au vol et doivent plonger comme des canards pour les récupérer sous l’eau – ces pièces sont en effet si peu denses qu’elles semblent faite de plastique et coulent très lentement. Ces dons isolés commencent à se généraliser et les pièces pleuvent ; on voit même s’envoler quelques billets de 1000 roulés en cylindre.
Vus d’en haut, les petits garçons m’évoquent soudain une bande de mouettes excitées à qui l’on jetterait des sardines. Je comprends alors qu’eux aussi, comme leurs aînés, sont montés jusqu’ici, non par insouciance, mais bien pour s’adonner à une activité commerciale. Comme à chaque départ de ferry, tels des acrobates de rue, ils sont venus, nus comme des vers, amuser la galerie pour une poignée de roupies.
PS : Dans la cafétéria du ferry, ils diffusent un film sur une petite télé qui n'affiche que des nuances de vert. Le film a été judicieusement choisi par d’éminents psychologues indonésiens : c’est Titanic.
3 commentaires:
tu me fais rire! encore des histoires Jonath!!
On se fait presque toujours avoir dans ce genre de pays... tu crois être face à un spectacle innocent et retrouver la pureté perdue de l'occident et ce n'est en fait qu'une façon de jouer sur la naïveté des portefeuilles sur pattes. Avez-vous ressenti, vous aussi, une sensation désagréable au moment où vous avez pris conscience de cela?
De l'exotisme contre des billets, c'est le contrat... Finalement c'est rassurant, il y a peu de surhommes qui ne pensent qu'à l'authenticité et au partage en cravant la gueule ouverte. L'instinct de survie est tout de même là. A leur place, je plongerais en costume traditionnel pour que pleuvent les pièces !
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